samedi, août 04, 2012


Burundi (2)

J'étais intéressé à suivre la filière jusqu'au bout, car on nous avait signalé des difficultés à la phase finale d'installation dans le village. Les (anciens) réfugiés sont, en effet, amenés par les camions du HCR dans des centres de rassemblement (en général une place de village, au bas de la montagne) et débarqués là, à charge pour eux de rejoindre leur destination finale, leur ancien village pour la plupart. Ils sont très souvent accueillis par la famille – pour autant qu'elle n'ait pas été, elle aussi, massacrée pendant les troubles qui ont fait fuir les premiers.
J'avais donc décidé de suivre une famille, choisie au hasard (plutôt au feeling) dans son périple complet, pour voir toutes les difficultés qu'elle rencontrait, éventuellement.
Pendant que je photographiais – toujours ostensiblement, en demandant l'autorisation tacite des intéressés – je remarquais cette femme, souriante, pleine d'énergie, qui manipulait les sacs de farine avec une relative aisance, tout en s'occupant de ses trois garçons et en interpellant son mari pour qu'il l'aide à manipuler les sacs plus lourds ou pour aider visiblement les copines, qui n'avaient pas toujours une aide masculine. Je ne sais pas pourquoi, je l'ai trouvée plus dégourdie, avec une conduite adaptée aux circonstances, vive.
Mon chauffeur m'a donc introduit auprès de Julie et Sosthène NDIKUMANA, boulangers de leur état et de leurs trois garçons, Pierre, John et Alfred, respectivement 14, 7 et 5 ans. Ils sont originaires de Nyanza-lac, village au bord du lac, où je suis déjà passé. Ils racontent qu'ils ont dû fuir leur village dans la nuit, avec leur aîné dans les bras, sur un bateau sur la lac Tanganyika (aucun d'entre eux ne sait nager), après avoir appris l'arrivée dans la soirée de soldats chargés d'arrêter et de massacrer les personnes influentes de la communauté hutue du village – comme boulanger, il était particulièrement visé, pour son rôle social.
Ils ont passé quelque temps dans un camp de réfugiés en Tanzanie, puis, bénéficiant de maigres fonds du HCR, se sont installés en périphérie du camp pour ouvrir une boulangerie qui, ma foi, marchait pas trop mal. Comme tous les émigrés, ils ont cru un moment aux possibilités d'assimilation (d'où le prénom John du second garçon, avant de s'apercevoir qu'ils ne seraient jamais acceptés comme vraiment tanzaniens, d'autant que la pression constituée par les réfugiés était devenue, entre temps, beaucoup plus lourde sur Kigoma, la grande ville où ils étaient installés.
La famille NDIKUMANA avec quelques autres réfugiés
de dte à gche Sosthène, les trois garçons et Julie (en rouge)

Les montagnes vers la Tanzanie, où habitent de nombreux "returnees"

Arrivée à Muyange

Foule sur la place de Muyange


famille et amis des ex-réfugiés










Puis, le mal du pays aidant, ils ont fait des projets de retour au pays et de revoir les grands-parents, qui leur disaient que les gens du quartier se souvenaient encore des pains qu'ils fabriquaient.
Retour dans les camions après déjeuner, cette fois plus de bus, tout le monde accompagne son matériel dans la benne. Il y a des bancs, des nattes à l'arrière du camion, le matériel est entassé à l'avant de la benne, on roule en convoi de plusieurs camions dans une direction donnée. Je les accompagne donc (on redescend la montagne) vers Muyange, première étape en bas, dans la plaine, où l'on devrait laisser pas mal de gens – ceux qui habitent dans la montagne, notamment – avant de faire une deuxième halte à Nyanza-lac.
Arrivée à Muyange au milieu du marché, foule immense attendant les réfugiés, les camions du HCR se garent comme à la parade, les édiles locaux essaient de prononcer un discours, puis renoncent devant l'empressement des familles qui n'en ont rien à faire et qui commencent embrassades et déchargements sans écouter les discours. C'est vraiment un moment de grande chaleur, très à l'africaine, coloré, bruyant, agité, curieux, on s'embrasse, on s'interpelle, on se dit adieu entre réfugiés, sans doute en se promettant de se revoir.
Vue du déchargement
Les familles sont venues avec des moyens de transport, fonction de leurs moyens, camionnette pour les plus riches, vélo, carriole à âne, ou à bras. On les aide à porter les sacs du 50 kg de maïs, et toute la vaisselle donnée au centre de réception, et les quelques biens ramenés de Tanzanie. J'ai même vu un énorme frigidaire porté par cinq personnes. Progressivement, la place se vide et là, le paysage change soudainement, on reste avec quelques familles qui n'ont pas de famille pour les accueillir. On imagine facilement l'histoire, la famille disparue, soit massacrée, soit les vieux, morts seuls, abandonnés par la famille disparue ou ayant fui.
Début du déchargement
Elles ont regroupé leurs affaires dans un cercle, gardé par les enfants et le chef de famille est allé chercher de l'aide, ou bien négocie le prix du transport avec l'un ou l'autre des commerçants venus au marché, ou bien cherche à faire garder leurs affaires dans un des hangars voisins. je passe de l'un à l'autre en essayant de me renseigner sur les pratiques et les prix, car c'est justement là que l'ide du HCR voit ses limites les familles étant obligées d'abandonner tout ou partie des réserves de maïs qu'on leur a fournies (en théorie, pour leur permettre de "tenir" toute l'année jusqu'à la prochaine récolte) en échange de transport ou d'un hébergement. C'est aussi là que pourra intervenir la Croix-Rouge burundaise, mon mandant, grâce à ses équipes locales.
Vue d'ensemble des opérations de déchargement


Amies se séparant

Julie aidant au déchargement

arrivée des ex-réfugiés au Burundi

 Convoi de retour des ex-réfugiés, poste frontière   
 

Burundi (1)

Je suis allé de nombreuses fois au Burundi, que j’ai progressivement appris à connaître, grâce notamment à Eric Fleutelot (Sidaction) qui m’a introduit dans le milieu des ONG des personnes séropositives, l’ANSS, qui y fait un travail formidable et, en partie méconnu. Ils ont été, dans les années 2003 – 2006 le premier et le seul endroit où l’on pouvait trouver des antirétroviraux, avant d’être progressivement, et c’est normal, débordés par les structures étatiques, qui ont beaucoup bénéficié des dons du Fonds Mondial. Quel réconfort de les voir construire leur propre dispensaire, extrêmement fonctionnel, où tout a été conçu pour le confort du patient – ou plutôt de la patiente car au Burundi comme ailleurs, plus nombreuses sont les femmes atteintes. Le "chemin" suivi par le patient du cabinet de consultation au laboratoire, puis à la pharmacie, parfois en passant par le service social ou l'écoute psychologique, tout a été pensé pour qu'il y ait le moins de croisement possible, tout en renforçant la solidarité des personnes entre elles.
Ce sont des femmes médecins qui travaillent à l’ANSS, comme ce sont des femmes qui ont fondé l’association. Je m'étais beaucoup amusé quand elles ont été nommées assistantes, puis maître de conférences à la Faculté de Médecine, car personne ne connaissait mieux le Sida qu'elles !
Après avoir été hébergé à peu près n'importe où, case de passage de la Croix-Rouge, chambre dans le sous-sol de la Résidence de France d'où je ne pouvais pas sortir, n'ayant pas de voiture, le même Eric m'a fait découvrir ce charmant hôtel, en plein centre-ville, havre de fraîcheur et de goût, Wifi toujours disponible, pour un prix abordable.
J'ai surtout séjourné à Bujumbura (Buja pour les intimes), enchaînant rendez-vous sur rendez-vous, tantôt avec les partenaires d'une maigre coopération française (biologie du Sida), Ministères de la Santé et du Sida, tantôt partenaires – càd responsables des autres coopérations. Les différents ambassadeurs de France ont toujours préféré la police, la douane et, bien sûr le sempiternel apprentissage de français aux problèmes de santé et j'ai rarement eu de bons contacts avec les services de coopération à Bujumbura, en général plutôt surpris de ma présence qu'à l'origine de ma venue …
J'ai donc un souvenir particulièrement ému d'un séjour dans le sud du pays. Nous étions venus avec une équipe de la Fédération de la Croix-Rouge pour aider la Croix-Rouge burundaise à identifier une situation de catastrophe nutritionnelle dans l'Est et le Sud du pays. Comme toujours dans ces cas-là, la mission commence par un tour d'horizon rapide, d'abord avec les responsables de la Croix-Rouge nationale, préoccupés par la situation, mais sans beaucoup de moyens d'intervention – une "remise à plat" récente de la société nationale avait vu beaucoup de départs. Nous voyons aussi le chef de mission du Haut-Commissariat aux réfugiés (la situation concernait surtout la situation des personnes revenues récemment au Burundi depuis la Tanzanie où ils étaient réfugiés depuis bientôt vingt ans pour certains d'entre eux. Le chef de mission, un guinéen fort sympathique, nous explique que le HCR assure la préparation au retour, puis le transport jusqu'à un point de rassemblement au Burundi, puis l'acheminement vers aux points de dispersion, en général proche de leur ancienne résidence, où la famille restée au pays est censée les attendre pour les quelques kilomètres finaux. Dans les points de rassemblement, les familles se voient allouer un sac de cinquante kilos de riz, censé assurer la nourriture pour la famille pendant au moins six mois, jusqu'à la saison des récoltes prochaine, ou que le chef de famille trouve un emploi.
Nous partons donc vers le Sud du pays en longeant des rives du Lac Tanganyika, zone qui, deux ans auparavant étaient le lieu de combats entre l'armée régulière et les forces rebelles, hutues pour la plupart et qui s'opposaient à l'accord de paix qui, d'après eux, faisait la part trop belle aux anciens maîtres tutsi du pays. En final, ils se rallieront aux accords de paix, sans avoir négocié quelques avantages …
Nyanza-lac est la ville la plus au Sud du pays, près de la frontière avec la Tanzanie et en face de la RD Congo qui occupe toute la rive Ouest du Lac (il est très large et on devine à peine la rive opposée. Il existe à Nyanza une plaque en l'honneur de la rencontre de deux expéditions anglaises lors de la découverte de l4afrique de l'Est – puis de sa colonisation, une troupe partie du Malawi actuel, l'autre de Dar Es Salam, capitale économique de la Tanzanie.
Après Nyanza, nous rentrons dans l'intérieur du pays, d'abord sur le plat, puis lors d'une grande montée encombrée d'hommes sur des vélos portant quatre à six bidons de 20 litres d'essence, qu'ils vont vendre plus loin. Ils montent tant qu'ils peuvent, puis finissent à pied le quelques vingt kilomètres de montée. Ils sont une bonne centaine à monter, et autant de l'autre côté qui dévalent la pente à une vitesse vertigineuse, qui finit souvent dans le fossé, lors d'une épingle à cheveu où ils n'ont pas pu freiner. Notre 4x4 monte en seconde, doucement …
Débarquement des impedimenta
Nous arrivons à Makamba, ville-centre de la province du Sud, grosse bourgade assez banale, pas beaucoup d’attraits ; Nous y voyons le responsable locale du HCR, un sénégalais jovial, avec qui nous allons boire un coup au café-restaurant local (les similitudes culturelles sont importantes entre un algérien, un sénégalais et un français, le café en est une). Un convoi d’anciens réfugiés arrive demain matin et je suis invité à assister aux opérations de retour.
Je couche donc dans un caravansérail local, force cafards, moustiques (heureusement, j’ai une moustiquaire avec moi) et cabinet de toilette qui sent la pisse. On y survit, bien que je n’ai pas demandé où était le petit déjeuner le lendemain matin, réveillé par le Muezzin à 5 heures du mat, puis par les démarrages des camions qui stationnaient à proximité vers 6 heures. Bref, j’étais debout bien tôt !
Avec l’équipe HCR, nous nous rendons sur la frontière, à flanc de montagne, vue splendide sur la montagne, le Lac au loin, brouillard qui se lève, frisquet quand même, on est à 1200 mètres d’altitude. Après deux heures d’attente, arrivée d’un, puis deux, puis une bonne quinzaine de camions du HCR, bourrés jusqu’à craquer d’objets recouverts de bâches au sigle du même HCR. Puis une vingtaine de bus pleins de personnes, femmes et enfants en majorité, qui descendent pour effectuer les formalités de rentrée au Burundi, qui vont assez vite, j’imagine que les listes avaient été préparées à l’avance.
Le convoi, assez imposant repart, sous escorte, sur la route des crêtes, poussière rouge de latérite à volonté, il commence à faire chaud. Nous arrivons un eu à l’écart du village suivant, dans un vaste ensemble de baraquements en tôle ondulée, ouverts sur les côtés, grillagés pour certains, sous les autres de lignes séparées, visiblement préparées pour des files d’attente assez longues.
Enregistrement par village de destination, séances d’explication de la suite des événements, mises en garde sur l’accueil au village d’origine, questions-réponses, puis agitation pour la distribution des sacs de nourriture et autres commodités (vaisselle sommaire, repas de midi.

Baraquements du camp d'accueil


Organisation des la queue pour la distribution du matériel d'accueil


Le matériel de chaque famille est entreposé par destination finale


Attente avant de récupérer son matériel personnel.
La (petite) dame en rouge sera mon fil conducteur ..
.


Type de matériel de première nécessité distribué

Avant le départ

Centre de récupération nutritionnelle, éducation des mères d'enfants de petit poids

jeudi, juillet 26, 2012

Burundi

Voyage au Sud du Burundi,
sur la frontière de la Tanzanie

Barques de pêcheurs sur le Lac Tanganika (Nyanza-lac)
Nyanza-lac: barques de pêcheurs