Burundi (2)
J'étais intéressé à suivre la filière jusqu'au bout, car on nous avait
signalé des difficultés à la phase finale d'installation dans le village. Les
(anciens) réfugiés sont, en effet, amenés par les camions du HCR dans des
centres de rassemblement (en général une place de village, au bas de la
montagne) et débarqués là, à charge pour eux de rejoindre leur destination
finale, leur ancien village pour la plupart. Ils sont très souvent accueillis
par la famille – pour autant qu'elle n'ait pas été, elle aussi, massacrée
pendant les troubles qui ont fait fuir les premiers.
J'avais donc décidé de suivre une famille, choisie au hasard (plutôt au feeling)
dans son périple complet, pour voir toutes les difficultés qu'elle rencontrait,
éventuellement.
Pendant que je photographiais – toujours ostensiblement, en demandant
l'autorisation tacite des intéressés – je remarquais cette femme, souriante,
pleine d'énergie, qui manipulait les sacs de farine avec une relative aisance,
tout en s'occupant de ses trois garçons et en interpellant son mari pour qu'il
l'aide à manipuler les sacs plus lourds ou pour aider visiblement les copines,
qui n'avaient pas toujours une aide masculine. Je ne sais pas pourquoi, je l'ai
trouvée plus dégourdie, avec une conduite adaptée aux circonstances, vive.
Mon chauffeur m'a donc introduit auprès de Julie et Sosthène NDIKUMANA,
boulangers de leur état et de leurs trois garçons, Pierre, John et Alfred,
respectivement 14, 7 et 5 ans. Ils sont originaires de Nyanza-lac, village au
bord du lac, où je suis déjà passé. Ils racontent qu'ils ont dû fuir leur
village dans la nuit, avec leur aîné dans les bras, sur un bateau sur la lac Tanganyika
(aucun d'entre eux ne sait nager), après avoir appris l'arrivée dans la soirée
de soldats chargés d'arrêter et de massacrer les personnes influentes de la
communauté hutue du village – comme boulanger, il était particulièrement visé,
pour son rôle social.
Ils ont passé quelque temps dans un camp de réfugiés en Tanzanie, puis,
bénéficiant de maigres fonds du HCR, se sont installés en périphérie du camp
pour ouvrir une boulangerie qui, ma foi, marchait pas trop mal. Comme tous les
émigrés, ils ont cru un moment aux possibilités d'assimilation (d'où le prénom
John du second garçon, avant de s'apercevoir qu'ils ne seraient jamais acceptés
comme vraiment tanzaniens, d'autant que la pression constituée par les réfugiés
était devenue, entre temps, beaucoup plus lourde sur Kigoma, la grande ville où
ils étaient installés.
La famille NDIKUMANA
avec quelques autres réfugiés de dte à gche Sosthène, les trois garçons et Julie (en rouge) |
Les montagnes vers la Tanzanie, où habitent de nombreux "returnees" |
Arrivée à Muyange |
Foule sur la place de Muyange |
famille et amis des ex-réfugiés |
Puis, le mal du pays aidant, ils ont fait des projets de retour au pays et
de revoir les grands-parents, qui leur disaient que les gens du quartier se
souvenaient encore des pains qu'ils fabriquaient.
Retour dans les camions après déjeuner, cette fois plus de bus, tout le
monde accompagne son matériel dans la benne. Il y a des bancs, des nattes à
l'arrière du camion, le matériel est entassé à l'avant de la benne, on roule en
convoi de plusieurs camions dans une direction donnée. Je les accompagne donc
(on redescend la montagne) vers Muyange, première étape en bas, dans la plaine,
où l'on devrait laisser pas mal de gens – ceux qui habitent dans la montagne,
notamment – avant de faire une deuxième halte à Nyanza-lac.
Arrivée à Muyange au milieu du marché, foule immense attendant les réfugiés,
les camions du HCR se garent comme à la parade, les édiles locaux essaient de
prononcer un discours, puis renoncent devant l'empressement des familles qui
n'en ont rien à faire et qui commencent embrassades et déchargements sans
écouter les discours. C'est vraiment un moment de grande chaleur, très à
l'africaine, coloré, bruyant, agité, curieux, on s'embrasse, on s'interpelle,
on se dit adieu entre réfugiés, sans doute en se promettant de se revoir.
Vue du déchargement |
Les familles sont venues avec des moyens de transport, fonction de leurs
moyens, camionnette pour les plus riches, vélo, carriole à âne, ou à bras. On
les aide à porter les sacs du 50 kg de maïs, et toute la vaisselle donnée au
centre de réception, et les quelques biens ramenés de Tanzanie. J'ai même vu un
énorme frigidaire porté par cinq personnes. Progressivement, la place se vide
et là, le paysage change soudainement, on reste avec quelques familles qui
n'ont pas de famille pour les accueillir. On imagine facilement l'histoire, la
famille disparue, soit massacrée, soit les vieux, morts seuls, abandonnés par
la famille disparue ou ayant fui.
Début du déchargement |
Elles ont regroupé leurs affaires dans un cercle, gardé par les enfants et
le chef de famille est allé chercher de l'aide, ou bien négocie le prix du
transport avec l'un ou l'autre des commerçants venus au marché, ou bien cherche
à faire garder leurs affaires dans un des hangars voisins. je passe de l'un à l'autre
en essayant de me renseigner sur les pratiques et les prix, car c'est justement
là que l'ide du HCR voit ses limites les familles étant obligées d'abandonner
tout ou partie des réserves de maïs qu'on leur a fournies (en théorie, pour
leur permettre de "tenir" toute l'année jusqu'à la prochaine récolte)
en échange de transport ou d'un hébergement. C'est aussi là que pourra
intervenir la Croix-Rouge burundaise, mon mandant, grâce à ses équipes locales.
Vue d'ensemble des opérations de déchargement |
Amies se séparant |
Julie aidant au déchargement |
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